Parcours de politologue #7 Jeanne Pavier



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologues de l’ULiège. Pour ce septième épisode, Jeanne Pavier, membre de l’Institut de la décision publique depuis septembre 2022 nous livre son regard sur son parcours. Entre le scoutisme et le droit des femmes, suivons le parcours d’une politologue amatrice de football.

Jeanne, pourquoi as-tu décidé d'étudier la science politique ?

Jeanne Pavier : À la base, je voulais faire les Romanes parce que je voulais être professeur de français car je suis passionnée par la littérature et en rhéto, j'avais suivi une étudiante pendant un jour mais j'avais détesté les cours que j'avais vus. Je me suis donc retrouvée en avril à ne pas savoir quoi faire. J’étais quand même intéressée par le droit, puis j'ai fait mon travail de fin d’études secondaires sur la question de la violence dans la société et, de fil en aiguille, j'ai dû lire quelques documents sur le fonctionnement public et social. Enfin, je pense que j'ai toujours eu un petit attrait pour la politique. Par exemple, lorsque j’étais encore au tout début de mes secondaires, dans le journal Le Vif, mon grand-père avait l’habitude de me montrer les dessins politiques de Vadot et de me les expliquer. J’ai aussi participé au Conseil des enfants de ma commune quand j'étais en primaire. Et donc voilà, je me suis un peu renseignée pour la science politique et ça avait l'air intéressant. Il n'y a donc pas de profonde raison systémique, je pense que j’ai juste un intérêt pour les questions de société depuis toujours.

Durant tes études à Liège, qu’as-tu le plus apprécié ?

Jeanne Pavier : Je pourrais donner deux réponses : une plus sociale et une plus scolaire. Humainement, l'université c'est incroyable ; toutes les rencontres que j’y ai faites m’ont forgée, notamment du fait d'être entourée de personnes de milieux différents qui n’avaient pas toujours la même pensée que moi. Je pense qu’ici, à Liège, j’ai lié des amitiés pour la vie, j'ai l'impression d’y avoir trouvé un socle très solide.  Et puis, on a la chance d’avoir le CESPAP, c'est assez incroyable d'avoir un cercle si accueillant et ouvert ! Donc je pense qu’humainement, l'université m'a vraiment beaucoup apportée. Ensuite, au niveau académique, j'ai vraiment bien aimé mon master en relations internationales parce que j’ai trouvé ça très intéressant qu’il soit autant diversifié ; parfois on est très fort dans l’entre soi et là, il y a vraiment des cours sur tous les continents avec la possibilité de se spécialiser dans différents domaines. Par exemple, on a accès à différents cours de droit et je suis convaincue que la science politique et le droit, c'est très important de les étudier ensemble. C’est d’ailleurs pour ça que j'avais choisi l'option droit quand j'étais en bachelier. Et puis, j’aimais beaucoup la manière de donner cours du professeur Sébastian Santander qui chapeaute ce master.

Comment es-tu arrivée à l’Université ?

Jeanne Pavier : J’étais au Collège Saint-Barthélemy en secondaire et, avec mes amis de l’époque, on avait remarqué que lorsqu’on nous présentait les options pour la suite de notre parcours après la rhéto, on ne nous parlait jamais des différentes hautes écoles, De plus, ma maman a fait l'université aussi et elle m’en a toujours beaucoup parlé. Donc, ça a été un choix plutôt naturel et inconscient.

Quel est ton livre préféré ?

Jeanne Pavier : Le livre des reines écrit par Joumana Haddad. Le livre est divisé en quatre parties qui suivent quatre générations de femmes qui sont prises dans les différentes guerres au Moyen-Orient. On est donc confronté à la dureté de la guerre, la dureté de s'en remettre mais aussi la dureté d'être différent, la dureté d'être une femme. Ce livre m’a été conseillé par Alexandre Fagot, un camarade de classe et ami proche, au début de notre master en relations internationales. En effet, on avait un cours d'introduction au Moyen-Orient et je traînais vraiment les pieds pour y aller parce que le Moyen-Orient, pour moi, c'était vraiment un énorme bourbier sans solution ; c'était vraiment très flou. Je ne voyais pas comment on pouvait comprendre et apprécier la complexité de cette région. Mais ce livre m’a alors profondément bouleversée sur deux plans. D'une part, sur le plan universitaire, il a été pour moi la porte d'entrée vers l’intérêt de l'histoire de cette région. À partir de là, j’ai suivi les différentes options qu'il est possible de prendre en lien avec le Moyen-Orient dans mon master ! D’autre part, d’un point de vue féministe, ça faisait déjà un moment que je m’y intéressais vraiment et que je me renseignais là-dessus mais j'étais très cantonnée à un féminisme de Belgique ; c’est évidemment sans vouloir le déprécier ou le minimiser, il y a encore plein d’améliorations et de réparations qui sont à faire à ce niveau-là et le combat n'est pas du tout fini. Mais être confrontée à une autre forme de féminisme, à une autre forme de bataille des femmes dans des circonstances que je n'ai pas connues, et que j'espère ne jamais connaître, à savoir la guerre, ça m’a profondément marquée. Ça m'a permis de beaucoup plus réfléchir à « c’est quoi être une femme ? » et à ouvrir les portes de ma définition de la femme et des combats à mener.  Je garde vraiment un souvenir très vif du livre et j'y retourne encore assez fréquemment lire quelques extraits.

Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Jeanne Pavier : Je pense que la science politique permet d'apporter des outils pour avoir un esprit critique sur ce qui se passe dans le monde d’aujourd’hui. Je pense vraiment que ce qui est très bien avec les études de sciences politiques, c'est qu’on a des cours, surtout en première bachelier, où on est vraiment outillé dans beaucoup de domaines différents : on a des cours de psychologie, d’histoire, d'économie, de droit, de science politique, de sociologie ou encore de philosophie. Ça permet d'avoir différents regards sur une même situation de société, ce que je considère comme l'apport principal de ces études. Puis, je ne conçois pas qu'on puisse vivre dans un monde, dans une société, sans en avoir les bases. Moi, ça m'échappe les gens qui disent : « je n’y connais rien en politique, je m'en fous ». Je trouve ça dingue parce que c'est vraiment comme ça que le monde fonctionne, c'est comme ça que les décisions sont prises. Comment peut-on donc ne pas s’y intéresser ? Quelqu'un décide pour toi et tu ne sais pas comment il décide, ni pourquoi il décidé, ni sous quelles règles ?

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d'étudier les sciences politiques ?

Jeanne Pavier : Personnellement, ça m'a vraiment permis de me trouver. Quand j’avais 16-17 ans, j’étais en colère sur le monde entier, il y avait plein de décisions et de situations que je ne comprenais pas, plein d'injustices que je ne cautionnais pas du tout. Et le fait d’entreprendre ces études de science politique, d’avoir ces outils juridiques, politiques, économiques mais aussi une perspective historique et philosophique, ça m'a vraiment permis de me canaliser et de pouvoir définir qui je suis, quelles sont les batailles qui m'intéressent et comprendre le monde dans lequel j'évolue. Les études aident aussi à sortir de son microcosme et de s’ouvrir l’esprit en débattant, notamment au CESPAP, avec des personnes aux avis et idéologies différentes, même si l’université reste généralement fréquentée par un certain milieu avec un certain revenu, une certaine classe.

Penses-tu qu’il faudrait des cours de science politique en secondaire ?

Jeanne Pavier : Je suis persuadée que oui, c'est d’ailleurs pour ça que j'étais dans la commission secondaire du CESPAP pendant mon bachelier, je trouve ça tellement pertinent et tellement intéressant. Pour moi, c'est d'utilité publique. Il faut que les jeunes, et les gens en général, puissent comprendre le monde dans lequel ils vivent. Surtout que ces jeunes-là, quand ils sortent de rhéto, ils vont devoir voter et choisir et pour cela, il faut comprendre. Je ne dis pas que ça doit être hyper poussé, mais en plus, en Belgique, on a un système politique tellement compliqué qu’il faut au moins expliquer les bases. Je n’ai pas eu cela en secondaire et je le regrette.

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

Jeanne Pavier : Je suis assistante pour le professeur Geoffrey Grandjean pour le cours d'Histoire Politique Belge. Cette année, je travaille en deux temps. Je dois d’abord approfondir le syllabus, notamment avec une perspective plus internationale pour mettre la Belgique dans un contexte mondial ainsi que faire appel aux femmes qui ont joué un rôle dans l'histoire de la Belgique. Ensuite, au second quadrimestre, je donnerai des heures de cours concernant le livre La Constitution au fil de ses versions. En plus de cela, cette année, un système de remédiation pour les étudiants qui ont raté le cours l'année passée, sera mis en place, pour revoir la matière de la semaine, s’entrainer à des questions d'examen, dispenser des points de méthodologie ; j’aurai la charge de ces remédiations. De plus, nous avons le projet d’écrire deux articles de méthodologie d’enseignement aux étudiants. L’objectif est de quantifier statistiquement les étudiants qui viennent en cours et qui répondent aux questions du Wooclap ainsi que les étudiants qui viennent en remédiation et qui répondent également à ce type de questions et comparer les données par rapport à ceux qui ne sont pas venus en remédiation ou qui n’ont pas répondu aux questions du Wooclap afin d’analyser si ces deux méthodes ont un réel effet sur les étudiants en termes de réussite. Le but étant de potentiellement faire remonter ces résultats d’analyse, soit pour les instaurer de façon plus large, soit pour montrer que ce ne sont pas des systèmes qui favorisent la réussite et donc, pouvoir réfléchir à quelque chose d'autre pour aider les étudiants. 

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Jeanne Pavier : Je suis cheffe « pionners » et je donne beaucoup d’importance aux valeurs qu’on y transmet. C’est très impressionnant de voir à quel point, avec des jeux et des animations ou lors des périodes où on est juste entre nous, en camp ou en week-end par exemple, on arrive à inculquer certaines valeurs et certaines notions aux enfants. Par exemple, en décembre, nous organisons une veillée de Noël dans mon unité où l’on mélange tous les enfants de 6 à 18 ans et ils passent l'après-midi entre différents stands. Il y a ainsi un stand de préparation de soupe qui est ensuite donnée à la Maison Blanche, qui est une maison d'accueil pour enfants dans le village, mais aussi aux SDF de Liège, parce qu'on est en partenariat avec Smile, qui est une ASBL d'infirmières de rue qui aident les SDF, notamment en leur apportant des soins médicaux. Il y a également un stand où ils créent des cartes de Noël qu’on va ensuite donner à l'hôpital de revalidation du village et un stand sur l'écologie où l’on essaye de les sensibiliser à une alimentation plus saine, au tri des déchets, entre autres.

Quel est ton sport préféré ? Que signifie-t-il pour toi ?

Jeanne Pavier : Je me suis mise récemment à jouer au football. En fait, j'ai toujours détesté le foot pour tout ce système de sommes d'argent folles et de corruption (n’ouvrons pas le débat sur la coupe du monde au Qatar). Ça n’a donc jamais été un sport qui m'intéressait. Mais là, je commence vraiment à apprécier, j’aime cet esprit d'équipe et ce dépassement de soi qui apporte le dépassement de groupe. On perd ensemble, on gagne ensemble, on se supporte, on s'encourage. En tant qu’étudiante, j’étais rarement dehors avec moi-même, à pratiquer un sport, et donc, je pense que ça me fait du bien de retrouver ces moments-là, où je peux me fatiguer physiquement, pour que la fatigue mentale sorte aussi. Il y aussi une vraie volonté de la BBFL, la Ligue de foot féminine amateur en Wallonie à laquelle mon équipe est liée, de réappropriation d’espaces presque exclusivement masculins avec le foot. Il y a ce souhait de vouloir diminuer le sexisme, de s'approprier un sport qui est connoté masculin et en plus, d’aider les femmes. Il y a ce principe à la BBFL où chaque goal inscrit lors du championnat donne lieu à un don de quelques euros à une association qui aide les filles à s'émanciper en Inde, notamment en retardant leur mariage auprès des parents, en contrepartie de suivre des cours pour devenir infirmières et de jouer au foot, ce qui leur permet de pouvoir potentiellement s’émanciper. Les filles essayent donc de s'approprier le football, ce qui est positif pour les filles en Belgique mais aussi ailleurs.

Qu’est-ce que tu souhaiterais proposer comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Jeanne Pavier : Pour moi, il faut plus de transparence. Rendre l’information politique tellement facile d'accès pour les citoyens que ce soit presque automatique d'aller se renseigner ; il ne faudrait pas que ce soit un site où on publie toutes les trois lunes. L’idéal serait presque comme un réseau social où tu pourrais directement voir le nombre de votes sur certaines lois, quel parti vote ou pas, ce qui se passe au niveau des finances, etc. Je suis également favorable au vote facultatif à partir de 16 ans et obligatoire à partir de 18 ans, pour encourager les jeunes à se renseigner et s’impliquer. Mais selon moi, le problème central du manque de confiance des citoyens envers le monde politique reste la professionnalisation de la politique, tout découle de là. Je n’ai donc pas de réforme spécifique, mais plutôt des lignes directrices de réflexion.

Sur le manque de confiance politique

Le problème central du manque de confiance des citoyens envers le monde politique reste la professionnalisation de la politique.

Jeanne Pavier
 

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Jeanne Pavier : J’ai vraiment apprécié la chanson Tempête de Angèle qui parle des violences conjugales. Je trouve la façon dont elle aborde le sujet très pertinente. À la fin de la chanson, son dernier couplet montre comment la société ferme les yeux en espérant juste qu'il n’y aura pas de prochaine victime. Et je trouve que c'est typiquement le problème, dès qu'il y a un féminicide ou un cas de violence conjugale, on espère que ça n’arrivera plus, mais il n’y a pas grand-chose de concret qui est fait. Néanmoins, je me permets ici une parenthèse pour mentionner le travail de Madame Sarah Schlitz, Secrétaire d’État à l’Égalité des genres, l’Égalité des chances et à la Diversité, qui a fait passer un projet de loi contre le féminicide récemment en Belgique, pour qu'il y ait une définition du féminicide, une nouvelle prise en charge et qu'on puisse enfin compter et faire des statistiques là-dessus ; c’est une première en Europe.

J’aime aussi vraiment beaucoup la chanson Wing$ de Macklemore qui critique la société de consommation via ce jeune qui veut absolument une paire de baskets. D'ailleurs, il le dit : « je suis un individu, mais je suis partie d'un mouvement, un mouvement qui me dit de consommer, alors je consomme ». C’est très actuel et j’aime bien comment le texte est écrit !

Tu as été la première femme présidente du Comité de Baptême en Droit, qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

Jeanne Pavier : J'ai vraiment été très heureuse, très honorée d'être la première femme. Surtout sachant qu'avant moi, il y a eu d'autres femmes qui avaient toutes les qualités de l'être et qui, pour diverses raisons, ne se sont pas présentées ou n’ont pas été plus loin dans la démarche. Je tiens aussi à souligner qu’au-delà d’être la première femme présidente, c'était la première fois que le trium était uniquement féminin car j'étais avec Justine Badou et Victoria Dispas et ça aussi, ça change. C’était un vrai défi, on s'attendait vraiment à avoir des remarques de vieux, d'anciens qui viendraient rouspéter. Fondamentalement, les hommes et les femmes n’appréhendent pas la vie de la même façon et c'est donc très intéressant de pouvoir avoir un poste de présidence avec un certain degré d’alternance afin d'apporter de la diversité à ce niveau-là. On a ainsi pu instaurer certains changements sur la communication au sein du comité, sur l’organisation interne, une certaine prise en charge aussi et je pense que c'est parce qu'on était un trio féminin qu’on a vraiment été boostées pour instaurer ça, dans la perspective d’une plus grande place des femmes dans la guindaille.

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

Jeanne Pavier

Si je suis en train de mourir : de la crise climatique… je suis un peu défaitiste voire collapsologue, comme dirait Sébastien Brunet

Dans 10 ans donc, au-delà de la crise climatique, j'aimerais vraiment bien travailler dans le domaine du droit des femmes. J'ai fait un stage l'année passée dans le cabinet de Sarah Schlitz, et j'ai adoré. D'une part, la vie en elle-même du cabinet, cette espèce de frénésie et de travail continu, c'est une vie très dynamique qui me convient bien. D’autre part, j'ai adoré le travail qu'il y avait, le fait de pouvoir vraiment être sur le terrain et d'arriver, à partir d’une situation problématique, de la décortiquer, de la solutionner, d'en faire une loi et tenter de la faire passer ; c'était super intéressant ! Donc oui, pourquoi pas être conseillère dans un cabinet sur la question du droit des femmes, mais ça pourrait aussi être le projet de monter dans des instances européennes ou internationales, dans les départements qui gèrent ces questions. J'aimerais beaucoup développer mon militantisme et m'engager concrètement dans certaines associations en lien avec la défense des droits des femmes, droits des minorités de genre, droits des personnes LGBT, lutte contre le racisme ; ce sont là vraiment des thèmes qui me parlent. Je ne pense pas que j'aimerais encore vivre en Belgique. Ça me plairait bien d'avoir un métier qui me permet de voyager beaucoup, mais attention, en train [rire]. Pas d’enfant, beaucoup de chats !

Retrouvez les publications de Jeanne Pavier ici.

Entretien réalisé par Vincent Aerts.

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