Parcours de politologue #5 Juliette Renard



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologue de l’ULiège. Pour ce cinquième épisode, Juliette Renard, membre de l’Institut de la décision publique depuis 2019 nous livre son regard sur son parcours. Entre son intérêt pour les sociétés profondément divisées et sa passion pour le vélo, découvrons les facettes d’une chercheuse pour qui le bonheur se partage.

Juliette, pourquoi as-tu décidé d'étudier la science politique ?

Juliette Renard : J'ai fait des études générales en secondaire latin-langue. Ce n’est pas très original en soi. Je suis ensuite partie un an aux États-Unis et je n’avais pas trop envie de faire des études [rire], mais on va dire que j'ai plus ou moins procédé par élimination dans mon choix, tout en sachant que j'avais déjà un certain éveil par rapport à l'actualité internationale et ce qui se passait autour de moi. Je crois que c'est comme cela que j'ai orienté mon choix. Je dois avouer qu’au début de mes études, j'ai vraiment cru que j'allais me réorienter vers d'autres choses, j'avais pensé à l'histoire et je suis même allée voir la conseillère d'orientation à l'époque. Finalement j'ai continué et je suis très contente d'avoir fait ces études-là.

Durant tes études à Liège, qu’as-tu le plus apprécié ?

Juliette Renard : A posteriori, j'apprécie le fait qu'on ait eu des cours de droit, dans le sens où cela nous permet de comprendre les systèmes politiques, mais pas dans le vide, en se raccrochant à des textes. J'ai aussi beaucoup aimé la liberté donnée dans le cadre des travaux. J’ai fait un master en administration publique mais j'ai eu la possibilité de réaliser mon mémoire sur la présence de murs en Irlande du Nord, ce qui m'occupe maintenant avec ma thèse en partie. J’ai donc apprécié de pouvoir travailler sur un sujet hors de ma finalité d’études avec autant de liberté.

Comment es-tu arrivée à l’Université ?

Juliette Renard : À l'Université de Liège ? Parce que je n’habite pas très loin, vers les Ardennes. À l’Université en général ? J'avais en fait une curiosité. Quand on part un an à l'étranger, on voit aussi qu’il y a plein de trucs à voir et qu’on peut apprendre différemment, en faisant des expériences, en rencontrant des personnes. Toutefois, à un moment donné, la raison a fait que je suis allée à l’Université.

Quel est ton livre préféré ?

Juliette Renard : J'ai lu un livre récemment qui était vraiment chouette, qui s'appelait Feminist City (Leslie Kern, 2020), qui portent une réflexion sur la manière dont la ville reproduit un système de domination, non seulement vers les femmes, mais aussi envers toute personne qui n'est pas blanche, homme, cis et capable. La lecture de ce livre m'a fort intéressée et elle m'a amenée aussi à réfléchir à mes propres privilèges parce que je suis une femme mais je suis blanche, je sais marcher, je suis jeune, donc je suis, comme l’autrice le dit, un corps qui est assez accepté dans la ville. Un autre livre que j'aime bien est Quelqu'un pour qui trembler (Gilles Legardinier, 2015). C’est l'histoire d'un médecin sans frontières, qui revient et qui se retrouve à diriger une toute petite maison de retraite, dans un espace particulier. Chaque personne âgée qui est là est un personnage en soi qui est très rigolo et donc c'est vraiment une histoire de relations humaines. Ça m'a fait beaucoup rire et beaucoup pleurer à certains moments [rire]. C'est un peu mon livre feel good.

Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Juliette Renard :  Un regard critique, le fait de déconstruire les structures qui façonnent la manière dont la société fonctionne et la possibilité d'imaginer d'autres possibles. Je trouve qu’à partir du moment où on a fait des études en science politique, on comprend qu'il y a pas mal de choses qui sont très contingentes, que beaucoup d'événements auraient pu se passer différemment et que les structures auraient pu être façonnées différemment. Je trouve ça assez libérateur pour penser le monde en dehors du cadre. Cela ouvre des perspectives en termes de déconstruction des logiques de domination quelles qu'elles soient.

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d'étudier la science politique ?

Juliette Renard : Justement pour avoir un esprit critique face aux discours qu'on nous sert en général dans la société, qu'ils soient politiques, médiatiques ou publicitaires. Pour avoir comme réaction de base de questionner les différents discours auxquels on peut être confrontés. Et pour avoir cette ouverture, cette déconstruction. Je ne sais pas si c’est un point de vue situé politiquement, mais en tout cas, cela dit quelque chose de la manière dont j’appréhende la manière dont la société fonctionne et le « système patriarcal capitaliste », si on veut le dire platement. En fait cela offre une respiration, surtout dans l'époque actuelle où en tant que jeune génération, j'ai l'impression qu'on nous vend un avenir complètement bouché. Si on écoute les discours ambiants, c'est la crise. C'est pénible. Tout est dur et ça va être l'enfer. Alors certes c'est une réalité, mais il y a des outils pour dépasser cette réalité et la science politique permet justement d’ouvrir la boîte, de se dire « qu'est ce qui ne va pas ? », « qu'est-ce qu'on peut remettre en question ? », ou encore « quels sont les mécanismes qui font que ce système tient ? ».

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

Juliette Renard : Je travaille sur les sociétés divisées. Ce sont des systèmes politiques divisés, où on a du partage de pouvoir qui forme le cadre institutionnel dans lequel j'étudie certaines interactions. Je m’intéresse aux sociétés « post-conflictuelles » et plus précisément à la matérialité, aux infrastructures et à la manière dont tout cela peut façonner des identités et le rapport à l'État. Par exemple, dans ma thèse de doctorat, je travaille sur l'Irlande du Nord et sur Chypre. À Belfast, un exemple classique, ce sont les murs physiques qui séparent toujours les communautés catholiques nationalistes des communautés protestantes unionistes. Alors ce n'est pas un mur de Berlin dans le sens où nous aurait un long mur qui traverse toute la ville mais c'est très situé, par quartier. Ces murs créent un microcosme, une réalité politique qui fait que les individus, au-delà du fait de ne pas rentrer en contact avec les personnes de l'autre communauté, se retrouvent aussi dans un cadre où ils sont entourés de symboles matériels d'un conflit. C'est un peu comme si on avait une inscription du conflit dans le béton, dans la matérialité et cela pose question sur la façon dont ils peuvent se projeter dans l'après-conflit. La matérialité de cette division entretient aussi des identités sectaires. On remarque toutefois que les endroits où il y a des murs sont les quartiers qui sont les plus défavorisés, là où il y a le plus haut taux de dépression, de suicides, de problèmes d'alcool, de drogues, ainsi que de « non-performance » scolaire. Ces divisions physiques participent donc à maintenir des endroits où sont reproduites des inégalités.

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Juliette Renard : Je fais beaucoup de vélo. Ce sport n'a pas encore de portée politique ni sociale, mais j'aimerais bien développer un projet, après ma thèse, qui pousse les femmes et les jeunes filles à rouler à vélo parce que je trouve que c'est un facteur d’empowerment énorme. Quand je suis sur mon vélo, je me sens intouchable et ça donne beaucoup de liberté de mouvement mais aussi de découverte. Au final, on doit pouvoir permettre à plus de femmes de rouler à vélo en se sentant à l'aise mais aussi savoir se débrouiller avec son vélo, comme faire la petite mécanique de base. Je crois que ça peut devenir un projet politique et social.

Quelle est la place du vélo dans ta vie ?

Juliette Renard : D’abord, il y en a un dans mon bureau [rire]. Je viens à vélo depuis le début de ma thèse, depuis que j'habite en ville. Au-delà de ça, je roule à vélo durant mon temps libre. J'ai déjà fait des voyages à vélo et j'envisage d’en faire encore les prochaines années. Par contre, j'étais très nulle à vélo quand j'étais petite : je faisais de l'asthme à l'effort. C'était donc vraiment l'enfer, mais je viens d’une famille assez sportive, et il y a quatre ans, j'étais assez mal personnellement. Faire du sport a été ma manière de me reconstruire et depuis c'est devenu un sport addictif.

Que proposerais-tu comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Juliette Renard : On a eu énormément d'experts qui ont pris la parole sur tout un tas de sujets dernièrement, notamment avec la pandémie liée à la COVID-19. L'expert, qui est une figure construite, a énormément de place auprès des décideurs politiques, et je crois que c'est quelque chose qui est amené à se reproduire, parce qu'on est dans des situations où on doit gérer des risques et qu'il y a des personnes qui ont une expertise là-dessus. Ma réforme serait d’obliger ces experts à déclarer leurs conflits d'intérêt avant de prendre la parole, de manière tout à fait transparente. En effet, ce n’est pas un problème en soi de travailler en partenariat avec certains acteurs du privé. Mais je pense qu’être transparent par rapport à ses potentiels conflits d'intérêts serait déjà une manière peut-être de rassurer le citoyen ou, en tout cas, de montrer qu'il y a une ouverture vers le citoyen.

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Juliette Renard : J’adore Pink Floyd et il y a une chanson, Hey You sur l'album The Wall, dans laquelle la dernière phrase donc c’est : « Together we stand, divided we fall ». C'est quelque chose qui a une portée politique si on choisit de favoriser le collectif et de lutter contre une individualisation et une atomisation de la société, qui écrase les individus et ne permet pas de faire avancer une lutte politique. Tout seul dans son coin, on n’arrive jamais à rien.

Et un film ?

Juliette Renard : Alors j’adore les films de Ken Loach, mais c’est le contraire de l’antidépresseur [rire]. Ou le film Into The Wild, c’est un de mes films préférés, grâce aux beaux paysages, mais aussi parce que le message derrière est que rien n’est réel tant qu’il n’est pas partagé, surtout pour le bonheur, je trouvais ça fort et ça me plait.

Sur l'importance du collectif

Rien n’est réel tant qu’il n’est pas partagé, surtout pour le bonheur.

Juliette Renard

Parierais-tu sur l’État belge dans les prochaines années ?

Juliette Renard : Ça dépend ce qu'on entend par l'État belge. Si on entend État fédéral avec la structure telle qu’elle est maintenant, je ne sais pas. J'ai l'impression qu’il y a des ajustements qui doivent se faire ou qui sont en train de se faire, notamment avec les crises qu'on a vécues. Je crois qu'on peut questionner le rôle des différents niveaux de pouvoir et la manière dont ils s'articulent entre eux. Personnellement, j'aime bien la Belgique avec toutes ses complexités et toute son inertie aussi liée au modèle du compromis dans lequel on est. Pour lier cela à mes sujets d’étude, la Belgique est une société profondément divisée, peut-être qui s'ignore un petit peu. Ou alors on le sait, mais ce n’est pas un aspect auquel on pense en premier. C'est souvent un modèle, politique en tout cas, notamment en Irlande du Nord. Nous, on a les groupes linguistiques au Parlement, eux, ils ont les groupes ethnopolitiques au niveau de l’assemblée locale. Je crois que la Belgique est un cas très intéressant, mais je pourrais mieux répondre à cette question dans quelques mois, quand j'aurai fini d'analyser toutes mes données, parce que c'est un aspect sur lequel je voudrais réfléchir dans ma thèse.

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

Juliette Renard : Je n’en sais rien du tout [rire], peut-être plus à l'Université, sûrement plus à l'Université. J'aime beaucoup être sur le terrain donc je me vois bien dans le milieu associatif, probablement à Liège… J'espère en tout cas que je serai épanouie et fidèle à moi-même.

Retrouvez les publications de Juliette Renard ici.

Entretien réalisé par Vincent Aerts.

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