Parcours de politologue #3 Archibald Gustin



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologue de l’ULiège. Pour ce troisième épisode, Archibald Gustin, membre de l’Institut de la décision publique depuis septembre 2020 nous livre son regard sur son parcours. Entre la guitare, le football et sa thèse de doctorat sur l’extrême droite et le genre, suivons le parcours d’un politologue luttant contre les inégalités.

 Archibald, pourquoi as-tu décidé d'étudier la science politique ?

Archibald Gustin : Ça peut paraître présomptueux, mais à l'époque où j'étais étudiant, j’évoluais dans un milieu plutôt bourgeois et conservateur. Il y avait peu de gens de gauche. Je lisais Marx avec le recul d’un adolescent de 16 ans, et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi on ne faisait pas la révolution [rire]. Donc je me suis dit que j’allais étudier la science politique parce que, derrière l'anecdote, j'avais envie de comprendre pourquoi nous sommes confrontés à des tas d’enjeux, climatiques, sociaux, etc. Je voulais comprendre pourquoi on ne parvenait pas à appréhender et à résoudre ces problèmes urgents de manière cohérente, et plus juste. Et donc c'est pour ça, je crois, que j'ai commencé à étudier la science politique, je dirais pour des raisons d'engagement politique.

Durant tes études à Liège, qu’as-tu le plus apprécié ?

Archibald Gustin : Je trouve que quand on est étudiant liégeois, on se dit que l’Université de Liège est une université de province. On se dit souvent que les grandes universités européennes ou belges sont meilleures, sont plus performantes, alors que pas du tout. Je suis super satisfait de la formation que j'ai eu à Liège, on a vraiment un enseignement de qualité, certes parfois à géométrie variable [rire]. J’ai vraiment l’impression d’avoir eu un bon niveau en sortant de mes études. Surtout, c'est un endroit où tu peux aller trouver ce que tu veux, J’ai bien aimé pouvoir aller chercher ce que je voulais. Je pense que je me suis beaucoup investi pendant mes études, au niveau intellectuel, au niveau de l'engagement dans mes études, et j'ai été content parce que j'ai pu trouver construire une chouette dynamique avec certain·e·s professeur·e·s, à travers certains cours, où il y a vraiment un échange stimulant. Et vu que c'est une petite université, surtout en ce qui concerne le département de science politique, il y a une relation qui se construit plus facilement avec des professeur·e·s et des chercheu.r.se.s. Et ça c'est vraiment chouette, parce que, souvent, des trajectoires professionnelles se définissent sur des éléments a priori anecdotiques comme des rencontres.

Comment es-tu arrivé à l’Université ?

Archibald Gustin : Cela témoigne de mon statut de privilégié, mais ça a toujours été la suite logique des choses, en fait, pour moi. Je ne me suis jamais vraiment posé la question, je savais que j'allais faire l’université. À vrai dire, j'ai hésité pendant quelques années à faire le conservatoire en guitare. C'était mon projet pendant la fin de mes études secondaires. Puis j’ai fait an d’échange scolaire au Brésil, et c'est à partir de ce moment-là que je me suis dit que je voulais vraiment faire de la science politique. C'était spontané, il n’y a pas vraiment eu de réflexion.

Quel est ton livre préféré ?

Archibald Gustin : L’Attrape-cœur de Salinger (1951). Souvent, les gens disent que c’est un roman d'adolescent, parce que c'est l'histoire d'un mec qui quitte l'école et qui fait une espèce de fugue incroyable à New York et qui se retrouve dans un tas d'histoires farfelues. Mais pas du tout. Le récit comporte des trucs assez crus, des réflexions sur la vie. L'attrape-cœur traite de nombreux thèmes, dont la solitude. Le protagoniste, le jeune Holden, notamment, se pose toujours la question suivante : « Où vont les canards quand les lacs sont gelés ? ». Cette question-là me frappait, je me la posais continuellement, je trouvais que c’était une métaphore tellement puissante. Je crois que j’y ai pensé pendant des mois, voire des années. Et quand tu connais l’histoire de Salinger, c’est encore plus fort. En effet, après la publication de L’Attrape-cœur, Salinger quitta New-York pour s’installer dans la petite ville de Cornish, dans le New Hampshire, où il s’isola de plus en plus, et ne s’exprima quasiment plus publiquement.

Est-ce que tu considères que le travail universitaire est une vie de solitude ?

Archibald Gustin : Oui et non. Oui, parce que c'est un travail que tu fais tout seul, et à la fois parce que c'est un travail sur toi-même. Il y a vraiment deux côtés à la thèse. D'un côté, tu as ton travail, ta recherche. De l’autre côté, tu as le travail que tu fais sur toi même en faisant ta recherche. Tu apprends plein de trucs sur toi-même. Je trouve que tu apprends des trucs que tu ne pourrais pas apprendre autrement. Au niveau de ton développement personnel, tu apprends à mieux te connaître, à mieux t'écouter, à mieux te gérer, à travailler de manière très autonome aussi. Il y a une dimension solitaire de la thèse, parce que chacun fixe ses propres objectifs.

D'un autre côté, pour revenir à la question initiale, la thèse n’est pas toujours un travail solitaire. Après, cela dépend du promot.eur.rice. Certains ne sont pas très présents, d’autres le sont plus. Moi, je n’ai jamais eu ce sentiment d'être abandonné, mais je sais que cela peut être le cas pour d’autres. Tu travailles dans des centres de recherche, il y a des événements, tu rencontres des gens qui font la même chose que toi, donc au final tu ne passes jamais vraiment une journée sans voir personne. En fait, je trouve que la recherche est à la fois solitaire et collective.

Sur l’apport de la science politique :

Je pense que la science politique doit entre autres contribuer à mettre en lumière des rapports de domination historiques, politiques et économiques.

Archibald Gustin

Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Archibald Gustin :  Déjà, cela dépend de quelle science politique on parle. Je trouve qu’il y a une partie de la science politique qui ne remet pas en en cause des normes qui sont elles-mêmes politiques, et qui se donnent une apparence de neutralité. Je pense que tous les mouvements de lutte pour l'égalité, du féminisme à l’anti-racisme, ont montré que toute position, même scientifique, ne l’est pas en dernière instance. Je ne pense pas que ce soit uniquement lié à la science politique, mais aux sciences humaines en général, il faut remettre en question le postulat selon lequel la science serait par définition objective. Elle est elle-même travaillée par des enjeux de pouvoir, des rapports de force, et au final, une certaine hégémonie épistémologique. Donc à ce niveau-là, il y a clairement une science politique qui contribue à maintenir certains rapports de force et qui sont (souvent) des rapports de domination. La science politique comme je la conçois et comme j'essaie de la pratiquer, est dans une certaine mesure militante, ce qui ne veut pas dire qu’elle sera totalement partiale. Je pense que la science politique doit entre autres contribuer à mettre en lumière des rapports de domination historiques, politiques et économiques.

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d'étudier les sciences politiques ?

Archibald Gustin :  C'est le feu ! [rire]. Déjà, je ne conseillerais pas à tout le monde de faire de la science politique. Faites-en si vous en avez envie. Après, c'est une formation qui te permet de mieux comprendre le monde qui t'entoure, comment les rapports de domination fonctionnent, comment le pouvoir agit… J’ai toujours été fasciné par la question du pouvoir : qu'est-ce que le pouvoir ? Comment agit-il sur toi ? Sur un groupe ? Sur un collectif ? Plus le temps passe, plus je me dis que j’ai toujours eu cette envie d'adopter une posture de critique. Je pense que j’ai toujours bien aimé les remises en question. C'est ça que j'aime bien, en fait, dans la science politique, c'est de travailler ton esprit critique, le développer. Ça te pousse à aller plus loin, quelque part.

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

Archibald Gustin : Je travaille sur l'extrême droite et le genre. J'essaie d’analyser la manière dont les partis d’extrême-droite, en Belgique, le Vlaams Belang, et en France, le Rassemblement National, se positionnent par rapport aux rapports de genre traditionnels, à savoir un système construit de binarités hiérarchisées. J’étudie dans quelle mesure les discours de ces partis reproduisent ou non les rapports de genre traditionnels, dans quelle mesure ils les critiquent, ou dans quelle mesure ils les pérennisent.

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Archibald Gustin : Je suis de celles et ceux qui pensent que tout est politique. Donc toute ma vie est politique. Je ne pourrais donc pas dire qu’une de mes passions est politique et l’autre pas. Tu regardes la littérature, qui est mon passe-temps favoris, c'est indéniablement politique, l'écriture est politique, les sujets y étant abordés sont politiques, et tu peux avoir des romans qui sont à priori dénués de dimensions politiques au sens strict, alors qu’ils le sont intrinsèquement. Tes lectures, et même la musique que tu écoutes sont des choix politiques. Par exemple, je suis un grand fan de rap. Il y a des gens qui défendent le rap en disant qu’il n’est pas misogyne, qu’il n’est pas sexiste, alors qu’il l’est clairement. Maintenant est-ce que ça veut dire qu’il ne faut pas écouter de rap ? Je ne pense pas, mais en tout cas, il faut avoir conscience.

Quelle est la place de ta guitare dans ta vie ?

Archibald Gustin : Là elle est plutôt dans ma chambre, au repos [rire]. Mais c’est quelque chose qui m'a construit, surtout pendant mon adolescence. Je jouais plein d'instruments, et c'était vraiment mon moment dans la journée. C'est ce qui a précédé pour moi la littérature, c'était un exutoire à un moment où je pouvais, on va dire, donner suite à ce que je ressentais, m’exprimer. Tout cela est très cliché, mais c'est cela qui me permettait de m’échapper un peu du triste quotidien que la vie nous offre. Sur un côté plus pratique, ça m’a donné une vraie discipline, parce qu’apprendre un instrument, faire de la musique, c'est un vrai travail quotidien. Je pense que ça m'a permis d'avoir une éthique de travail. Enfin, Madame Peers, ma professeure de guitare à l’académie, a joué et joue encore un rôle très important dans ma vie.

Quelle est la place du football dans ta vie ?

Archibald Gustin : Le football, ce sont d'abord des bons souvenirs. Maintenant, on a un accès incroyable au football via la télévision et via les médias. Mais à l'époque, quand j'étais petit, chez mes parents, on n’avait pas les chaînes TV qui diffusaient les matchs de football. Donc on regardait les matchs de foot du Standard en crypté ! Et quand il y avait des gros matchs, on allait dans un bar avec mon père boire un verre. C'étaient des super bons moments. Et puis le foot, ça m'a connecté avec plein de gens. Quand je suis parti au Brésil, ma famille d'accueil allait au stade tous les week-ends. Je parle encore avec mon père brésilien du foot, on échange toujours des messages le week-end à propos de cela. Puis le foot, ce sont mes rêves de gosse, je me rappelle avoir mis un rappel dans mon GSM le jour de mes 18 ans pour trouver un club de foot professionnel. C'est aussi une identification à ta ville, je suis supporter du Standard et être supporter Standard, c'est être liégeois.

Puis j’ai un projet, je ne sais pas si je le réaliserai un jour, mais j'aimerais bien faire une analyse politique des clubs de foot en Belgique. Je ne sais pas si ça a déjà été fait, mais ce serait super intéressant. Moi qui travaille sur l’extrême-droite, par exemple, il y a plusieurs figures proéminentes d'extrême droite qui sont actives dans des clubs de supporters en Flandre, et qui ont un réseau étendu dans ces sphères, un réseau qu’elles utilisent à des fins politiques également. Pensons également à Lorin Parys, l’ancien vice-président de la N-VA, qui vient de quitter la politique représentative pour devenir CEO de la Pro League…

Que proposerais-tu comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Archibald Gustin : On vit dans un système, qui n’est pas juste traversé, mais qui est construit sur des inégalités et des discriminations. J'ai envie de dire que tant qu'on ne s'attaquera pas à la racine de ces problèmes-là qui fondent structurellement notre société, on n’obtiendra aucun sentiment de confiance. D'ailleurs, je pense que le système représentatif tel qu’il fonctionne actuellement n'est pas fait pour apporter de la confiance aux citoyens. Le discours de la perte de confiance entre les citoyens et leurs représentants fait partie d'une rhétorique qui vise à dire que la finalité de nos systèmes politiques démocratiques représentatifs serait d’amener à un sentiment de confiance citoyenne, mais il n'est pas conçu pour ça. Le répéter, c'est de la poudre aux yeux.

Je reproche à la science politique mainstream de fétichiser les élections. Pour des raisons historiques, la science politique s’est construite, aux États-Unis notamment, dans l'après-guerre, sur des études électorales. Celles-ci ont un sens, mais cette hégémonie électoraliste, qui vise à réifier le lien entre démocratie et élection et à réduire, à essentialiser la démocratie aux élections, fait qu'on arrive à un postulat où la démocratie, c’est l’élection. Or, la démocratie, ce n’est pas (juste) ça. J’appelle à vraiment se questionner sur le sens de la démocratie, qui est pour moi une lutte radicale pour l'égalité. D’ailleurs, il ne faut pas non plus voir la démocratie comme quelque chose de pur, de stable, de statique, d’immobile. La démocratie, c'est la cristallisation des rapports de force s’inscrivant dans un contexte de luttes raciales, de sexes et de classes. Et la démocratie représentative, telle qu'elle fonctionne actuellement, sert à maintenir des rapports de domination, quand bien même certains discours affirmeraient le contraire. Et à un moment donné, si on est dans système qui sert à pérenniser et maintenir des rapports de domination alors on doit pouvoir en sortir. Et si c'est par une violence qui est extra-parlementaire, je trouve ça juste de le faire.

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Archibald Gustin : Tu pourrais prendre toute ma playlist. Il n’y a pas une chanson qui n’est pas politique. Mais là, je pense à une chanson de Kendrick Lamar sortie en 2015 qui s'appelle Alright, qui est entre autres produites par Pharrell Williams et qui parle de discrimination raciale aux États-Unis. Le rap, c'est une musique qui est super politique. Tu ne peux pas faire la distinction entre un rap qui ne serait pas politique et un rap qui le serait. Je vais prendre un exemple cliché, mais pour moi, Koba La D est aussi politique que IAM.

Parierais-tu sur l’État belge dans les prochaines années ?

Archibald Gustin : Oui, il est là pour durer ! Ce discours de la fin de la Belgique est une entourloupe rhétorique. Ce discours-là sert certains intérêts. Il sert à maintenir un certain rapport de force, une certaine hégémonie politique, qui est d'ailleurs totalement en notre défaveur, à nous, francophones. Je dis toujours que si les flamands veulent l'indépendance, je suis favorable à un référendum dès demain. Mais les élites flamandes, bien qu’elles affirment le contraire, n’accepteront jamais.

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

 Archibald Gustin : Dans 10 ans… Il faudrait déjà voir si on est encore en vie dans dix ans. D’après le dernier rapport du GIEC, on aura 1,5°C en plus dans 5 ans. Plus sérieusement, je fais partie d'une génération qui a du mal à se projeter, parce qu’on est dans des sociétés où la violence va se visibiliser de plus en plus. Parce que la violence est déjà là, même dans des sociétés dites pacifiées comme la Belgique. Je suis d’un naturel pessimiste, je n’arrive pas à me projeter dans le futur tout en sachant qu’on fait face à une catastrophe climatique. C’est quelque chose qui me paralyse, et je ne crois pas être le seul.

Retrouvez les publications d'Archibald Gustin ici.

L’entretien a été réalisé par Vincent Aerts.

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