Parcours de politologue #2 Maxime Counet



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologues de l’ULiège. Pour ce deuxième épisode, Maxime Counet, membre de l’Institut de la décision publique depuis septembre 2021 nous livre son regard sur son parcours. Entre la guitare, le jazz, « Call me by your name » et la vie politique belge, suivons le parcours d’un politologue soucieux de la performativité des identités.

Maxime, pourquoi as-tu décidé d'étudier la science politique ?

Maxime Counet : Je suis arrivé par l'angle plutôt politique que scientifique. En effet, quand j'étais fort jeune, ce qui commence à dater douloureusement, j'étais impliqué dans des mouvements politiques au sens large – partisans ou non – et entretenais quelque velléité de carrière politique. Il apparaissait clairement au niveau parental qu’il me fallait un diplôme universitaire et en fin de compte « université + politique » s'est traduit en science politique. Ça m'a valu pendant ma première année en science politique d’être candidat à des élections. Par la suite, le côté analytique a pris le pas sur le côté militant.

Durant tes études à l'Université, qu’as-tu le plus apprécié ?

Maxime Counet : Je crois, honnêtement, que c'est le rapport au travail de recherche. Parce que j'ai d'abord pris du plaisir à suivre des cours, mais il y a finalement peu de cours – il y en quand même a eu – qui m'ont complètement bouleversé et où je me suis dit « waw je comprends ». Le plus de plaisir que j'ai pris, et j’inclus le côté amical, c'est vraiment le fait de me retrouver à écrire un travail dirigé en science politique (TDSP) et de me dire « en fait, j’adore cette démarche. Je crois qu'il y a plein de choses à faire qui m’amèneront, peut-être, à en faire un métier ». Finalement dans mon métier, ce n’est même pas ça que je préfère, c'est plutôt l'encadrement. Il y a eu une sorte de bouleversement dans l’articulation entre enseignement et recherche.

Comment es-tu arrivé à l’Université de Liège ?

Maxime Counet : Principalement par de l'ancrage local. Ça ne me serait pas venu à l'idée d'aller ailleurs. Je suis fort liégeois et principautaire. L’université a cette réputation d’université qui capte davantage en termes de bassin de vie, plus qu’en termes de mobilité, ce qui peut être le cas d'autres universités. La question ne s’est pas posée : c’était Liège, point.

Quel est ton livre préféré ?

Maxime Counet : Question compliquée… Je crois qu'un des livres qui m'a le plus marqué dernièrement, c'est un livre de Sylvia Federici, Caliban et la Sorcière. La figure de la sorcière est quelque chose qui est de plus en plus traité par la littérature féministe. Dans Caliban et la Sorcière, Sylvia Federici, qui est en fait une autrice marxiste, allie des questions fondamentales d’accumulation primitive du capital et d’exclusion des femmes à travers les corporations, la science, etc. Pour toutes celles et ceux qui sont intéressés, à la fois par les champs féministe et marxiste, c'est une lecture essentielle et pour tous ceux qui ne sont pas intéressés par ces deux champs, ils ont tout à fait tort. Qu’ils le lisent quand même : c'est vraiment génial. Notamment sa première partie, qui traite vraiment de la sortie des femmes du monde productif, ce qui a fait des femmes les seules en charge de tout ce qui à trait à la reproduction du capital et ce qui a en fait dénaturé et dévalorisé tout leur travail – qui n’est pas comptabilisé dans la production nationale.

Sur la question des classes sociales

Tout expliquer par la classe ne fonctionne pas, mais faire semblant que plus rien n’existe n’a aucun sens, car on sait bien que les inégalités sont en fait plus marquées qu’avant et sans doute plus signifiantes.

Maxime Counet
Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Maxime Counet : Un recul analytique, une montée en généralité. Je crois que c'est vraiment ça qui est précieux, parce qu'on a l'habitude dans le champ du débat public de voir les choses par un tout petit angle. Cela est dû à une série de phénomènes qui, à mon avis, s'accélèrent vraiment très fort ces dernières années, qui sont des phénomènes de marketisation du fait qu'on va chercher des « petites phrases » dans le monde politique. On ne va pas faire campagne sur des programmes mais sur des images. Médiatiquement, il faut que les choses se passent vite et ça explique les petites phrases, les éléments de langage, les simplifications à outrance et cætera. Il y a cette culture de l'immédiat qui est partout, qui vient en fait du secteur privé, qui nous amène à avoir des crises qui ont l'air très aigües, mais qui durent quinze secondes et on les oublie. On a l'impression qu’un phénomène est nouveau. Mais en fait pas du tout, ce n’est jamais qu'une expression répétitive d'une longue tradition. Je crois que l'analyse politique telle qu'on peut la pratiquer permet de rendre compte du fait qu’il y a des récurrences, il y a des intérêts, il y a des tendances longues qui expliquent les phénomènes auxquels nous sommes confrontés.  On a besoin d'avoir des gens comme nous qui prennent le temps du recul, de la réflexion en dehors des dynamiques partisanes, mais pas du tout en dehors des dynamiques politiques, parce que je crois que l'analyse est en elle-même politique, des gens qui sont absolument précieux dans la société. Cela permet justement de pouvoir décortiquer, et se rendre compte que rien n'est neuf. On peut faire l’exercice par exemple avec le prix de l'énergie1. C'est quelque chose qui dans les mois à venir, à mon avis, va quand même prendre pas mal de place dans le débat public. Si vous lisez, je suis désolé, je vais revenir à une tradition marxiste, voilà, c'est trop tard [rires], si vous lisez du Friedrich Engels sur la pression des loyers à Londres dans les années 1870, c’est la même chose qu’actuellement. 

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d'étudier les sciences politiques ?

Maxime Counet :  Je me rends compte que je pars un peu dans tous les sens au fil de l’entretien [rires]. C'est une question qui se pose en fait dans la charge d'assistant et de membres de la communauté universitaire. On a une charge d'encadrement, une charge de recherche et une charge de service à la communauté. Dans le service à la communauté, on compte notamment la promotion de l'enseignement. On a des équipes spécifiques au bâtiment central du xx août. Je vous promets que je vais revenir à la question [rires]. On a des conseils, des vadémécums, etc. sur la manière de promouvoir l’Université de Liège. Notre information est doublée par des informations facultaires pour montrer à quel point c'est trop bien chez nous.  Le fait est que moi je suis assez convaincu que c'est fort bien chez nous. Mais j'estime que, à aucun moment, je ne dois faire la promotion. Ce qui m'importe, c'est de montrer ce qui se fait chez nous et de voir dans quelle mesure ça pourrait être en adéquation avec les futurs étudiants qui viennent à moi. Je ne pense pas qu’il faille à tout prix dire à tout le monde qu’il faut faire science politique. Par contre – et là je vais revenir sur la question, c’est le moment où j’atterris [rires] – pour tout qui est intéressé par la politique au sens très large, par la dynamique administrative, par le fonctionnement de l'État, la formation en sciences politiques, et encore plus à Liège, est précieuse. Pourquoi à Liège ? Pour l'implication des savoirs juridiques où, clairement, il n’y a pas de compétition. Maintenant quelqu’un qui est potentiellement intéressé par les sciences politiques au sens large et qui a envie de déployer des appareils analytiques poussés dans l'analyse statistique, des régressions, de l'économétrie, entre autres, ne doit pas venir ici parce que, clairement, ce n’est pas notre point fort. Par exemple j'ai eu le plaisir de vous lire au sujet d’Antoine Bauwens qui s'intéresse au local depuis très longtemps. Je l'ai eu comme étudiant. Pour des gens qui s'intéressent à l'administration sous des angles différents, la formation chez nous vaut la peine d’être vécue, avec du droit mais également des savoirs issus des sciences sociales. Je me pose toujours des questions sur la singularité de la science politique. J'ai toujours été partisan de l'idée des sciences politiques. Je n’ai pas l'impression qu'il y ait une méthode ou une démarche qui soit propre à la science politique. Par contre, on a un objet large : la politique.

Quand je suis rentré à l'université, j'imaginais que le cours qui allait être le plus embêtant du monde, ça allait être le droit constitutionnel alors que j’ai adoré, c'est un cours tellement politique. L’imbrication des politologues et des juristes permet d'élargir le champ des juristes, tout en permettant aux politologues de se questionner sur la norme. Le droit est une émanation politique. Je vais vous raconter une anecdote. J’ai eu un cours avec Christian Behrendt, pendant la crise politique de 2010. On parlait des affaires courantes qui n’ont pas vraiment de cadre spécifique, mais qui relèvent davantage de la coutume. Lors de ce cours, notre professeur nous a affirmé qu’il y une chose certaine : jamais on ne votera un budget en affaires courantes. La semaine suivante, on votait un budget en affaires courantes. Je me réjouissais tellement de retourner au cours. J'ai vraiment vu un juriste déconfit qui est arrivé en disant : « il faut se rappeler que le droit n'est jamais qu'un accord sur un désaccord ». C'était génial car ça a été un cours éminemment politique. Ce n'est pas uniquement la science politique qui profite de la présence du droit. C'est vraiment un échange. Tout ce qui se fait autour de l’unité de recherche (UR) Cité va aussi dans ce sens-là.

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

 Maxime Counet : De par mon implication historique avec Pierre Verjans jusqu’à il y a quelques mois de ça et le plaisir que j'ai désormais de rejoindre Geoffrey Grandjean, je travaille essentiellement sur des questions de politique belge. En termes de travail personnel, je traite des identités. Il y a notamment le côté relativement classique des identités sous nationales comme le nationalisme flamand/wallon ou l’identité bruxelloise, que j’interroge au prisme des identités de classes. Sur ce point, on remarquera que les multiples références marxistes faites jusqu'ici s’y intègrent parfaitement… [rires]. Je suis surtout frappé par le fait que, tant dans la littérature scientifique que dans le débat public, la question des classes sociales et en pure désaffection. On n’en parle presque pas. Il y a toutefois des acteurs politiques qui reviennent un peu à ça, notamment du côté du PTB et des partis de l'extrême-gauche européenne au sens large. Jusqu'aux années 1980, c'était un facteur explicatif majeur, tant dans le débat public et dans le positionnement des partis que dans l'analyse que les politologues et sociologues faisaient. Tout expliquer par la classe ne fonctionne pas, mais faire semblant que plus rien n’existe n’a aucun sens, car on sait bien que les inégalités sont en fait plus marquées qu’avant et sans doute plus signifiantes. Je travaille sur « la conscience de classe ». Cela signifie que les réalités matérielles au sein d'une société ne suffisent pas à avoir automatiquement un réflexe de classe. C'est pour cette raison que Marx avait tort : il imaginait (ou alors il ne l’imaginait pas vraiment mais il l’appelait de ses vœux) que si c’était automatique, les conditions de production allaient générer des identités politiques fortes, ce qui amenait les ouvriers à voter pour les mêmes partis. Désormais, on sait bien que ça se dilue. J’ai l’impression qu’en faisant un travail identitaire, à l’inverse, sur le fait que par exemple « on est des flamands et on ne va pas aider les wallons, on a une fierté à nous et on a été brimés » (ce qui est historiquement tout à fait véridique), ça amène les gens à moins s’interroger en termes de réalités matérielle, productive et économique mais plus en termes de réalités culturelles. Pourtant, dans la justification du mouvement flamand, surtout à présent, les arguments qui sont déployés ne sont plus du tout des arguments de reconnaissance culturelle, mais bien des arguments économiques. J'ai l'occasion, en collaboration avec Geoffrey Grandjean, de travailler sur le manifeste flamand de 1847. C’est super drôle parce que, à l’époque, il n’y avait rien d'économique. Il y avait uniquement du culturel. En 150 ans d’histoire, on voit que tout a été inversé, au profit de la logique économique.

Pourquoi est-ce, selon toi, important d'étudier ces identités politiques ?

Maxime Counet : Ce qui m'intéresse, c’est de dire que les identités ont une performativité sur le fait social. C'est en exacerbant des questions identitaires, qui avaient du sens culturellement, et compte tenu de la domination politique francophone, que le mouvement flamand a réussi à obtenir une autonomie économique. L'identité, ce n’est pas juste une manière d'être content, de mettre son drapeau et de suivre une équipe ou l'autre. C’est plus que cela. L’identité a vraiment une implication, qui va jusqu’à modeler l'État belge. On ne peut pas faire l'économie de ce genre d’analyses-là, parce que c'est vraiment un bel apport des sciences politiques que de se rendre compte que les mouvements sociaux, et la manière même de les envisager, vont avoir un impact sur tout. En ce sens, l'idéologie n'est pas du tout quelque chose qui est mauvais alors que souvent ce mot est employé avec péjoration. Non seulement ce n’est pas nécessairement mauvais, mais en plus c'est extrêmement révélateur.

Il y a par ailleurs une chose sur laquelle je m'inscris en faux par rapport à des analyses francophones, qui disent qu’il y a un fossé entre les représentants et les représentés parce que, à chaque fois qu'on fait des sondages qui demandent aux électeurs flamands s'ils veulent plus d’autonomie ou d’indépendance, ils disent non en majorité. Dire qu’il y a ce fossé et que c'est la caste politique qui confisque le débat, ce n’est pas du tout faire honneur aux électeurs. En fait, c'est estimer qu’ils sont inconscients de ce qu'ils font ou que chacun n’est pas tout à fait certain de l'étendue des programmes. Les Flamands savent ce qu’ils font et ils le font encore une fois pour des raisons monétaires, économiques et de partage de la richesse. C’est drôle car il y a une sorte de naïveté de politologues de dire « ce n’est pas vraiment ce que les électeurs flamands veulent ». Pourtant, ils votent toujours dans le même sens depuis plus de 60 ans…

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Maxime Counet : Ce qui m'anime le plus, c’est la musique. La musique, c’est l'échange et la découverte. Ce sont aussi des influences diverses. Mais je n’irai pas jusqu'à lui donner une dimension politique. Ensuite, je cours beaucoup. Ce sont les deux choses qui me prennent le plus de temps et qui me passionnent.

La musique a-t-elle une place plus politisée dans la société actuelle ?

Maxime Counet : Je ne sais pas, honnêtement. Je n’en ai pas l'impression. Quand dans l’après-guerre, des gens chantaient « le chant des partisans », c'était extrêmement politique. Des arts et de la musique, notamment populaires, ont un rôle dans la critique parfois acerbe de régimes politiques en place. Je ne pense pas que la musique a un rôle plus politique qu’avant. Elle en a toujours eu un. Elle permet de diffuser des messages de manière très forte. Ce qui m’enthousiasme le plus, dernièrement, c’est le rapport à la question féministe. Une série de réflexes, de postures et d’expressions étaient jusqu’il y a peu uniquement présentes dans des milieux très militants et confisquées par ailleurs. Maintenant, alors qu’il y a une série de « backlash », de retour sur les droits des femmes un peu partout dans le monde, des chanteuses, actrices, représentantes et d’autres personnalités célèbres s’inscrivent dans un héritage militant et entendent bien ne pas se laisser faire.

Quelle est la place de ta guitare dans ta vie ?

Maxime Counet : Super importante, c'est hyper précieux. Ces dernières semaines et ces derniers mois, j’ai été amené pour des raisons diverses à en jouer beaucoup plus. C'est à la fois inspirant en tant que tel et c'est aussi là que peut passer à l'inspiration. C'est l'échange. Pour le moment, je joue trop tout seul. Ce sont pourtant aussi des moments géniaux que de pouvoir échanger à travers la musique ou par la musique avec d'autres gens qui ne sont même pas musiciens. Personnellement, je ne pense pas que je serais intéressé de vivre sans la musique. Cette année a été assez délicate pour moi et mes guitares m’ont tout à fait sauvé. L'année dernière, j'ai beaucoup moins joué pour un fait simple : quand je travaillais beaucoup sur des morceaux de thèse, la guitare ne me permettait pas vraiment de me reposer. J'étais fatigué intellectuellement par le travail de lecture, d'écriture, d'entretien, des visites, etc. Mon cerveau n’était pas disponible pour la musique. Du coup, ça crée plus de frustration que ça ne génère de libération. Je crois que c'est aussi pour ça que l’année dernière j'ai beaucoup plus couru. J'étais tout à fait dans un autre monde. Ce n'était pas du tout intellectuel. Moi, je fais beaucoup de musique dans l'ordre du jazz, donc l'improvisation, et ça demande en fait un investissement. Que ce soit la musique ou le travail scientifique, dans les deux cas, c’est de la création. Il y a des gens qui arrivent à avoir des processus d'écriture très mécaniques. Moi, je suis incapable de faire ça. Le moment où je rédige, c'est un travail de création. Tout a une importance. Je suis très attaché à la langue. Musique et sciences peuvent donc se faire concurrence, alors que sciences et sport me permettent d’évacuer [rires].

Que proposerais-tu comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Maxime Counet : J'ai un truc en tête qui est hyper important, et là on est en minorité avec Geoffrey et Antoine. On pense la même chose, c'est que toutes les initiatives de participation citoyenne, ça peut être intéressant dans des budgets participatifs, par exemple, mais ce n'est qu'une partie de solutions. Parfois, je pense que ces initiatives-là ne font que renforcer le fossé entre représentants et représentés. Pourquoi ? Parce qu’en disant, « on laisse un espace d'expression aux citoyens », on crée une distinction, même plus de fait mais de droit, entre les citoyens qui seraient des mandataires politiques et les autres. C’est la même chose avec les « listes citoyennes ». Cela signifie que les représentants, plus ou moins professionnels de nos jours, estiment que l’activité de mandataire les a disqualifiés de la citoyenneté. Ils ne sont plus des citoyens, ils sont des politiques. On touche le vrai problème parce qu’il y a des gens qui font carrière et puis il y a les autres. Les vrais désaffiliés du monde politique ne sont pas les gens qui vont venir faire des budgets participatifs, entre autres. Ce sont tous des gens qui ont une conscience politique même si elle n’est pas du tout partisane. On ne touche pas du tout aux individus qui n'en ont rien à faire et qui ne vont pas voter. À mon avis, ils ont tout à fait raison de se dire que c’est un monde qui leur est étranger parce que les politiques tels qu'ils existent maintenant s'affairent à être de plus en plus étrangers. Pour la mesure que j'ai en tête, ce ne sera pas une mesure qui vise à impliquer les citoyens, c'est une mesure qui vise à faire tourner les carrières politiques.  Je crois qu’une limitation des cumuls, non pas sur une période donnée, mais dans le temps est de nature à faire tourner les élus. J'ai des connaissances, même des amis qui sont élus à tous les niveaux. Il y en a pour qui j'ai vraiment beaucoup d'admiration et avec qui je partage énormément d'idées. Mais quel que soit mon niveau de conviction ils savent très bien que je ne vais pas voter plus de deux fois pour eux. Pour garantir que la politique soit une politique citoyenne, il faut s'assurer que les citoyens n'ont pas seulement la voix au chapitre, mais également s'assurer du fait que la politique n'est pas une carrière. Je le dis a contrario de tout ce qui existe. Effectivement, la politique est une carrière – voire même des dynasties. Ça ne devrait pas l'être. Il faut permettre à tout un chacun non seulement de donner son avis au Parlement mais aussi d’y être, et éventuellement au Gouvernement. Il y a d’autres enjeux. La question du genre n'est plus si mal en termes parlementaires, mais encore loin de la parité du pouvoir, surtout au niveau exécutif. D'autres questions comme les questions d'origine et de stratification sociale montrent qu’on est dans une moins bonne situation que dans les années 1950. C’était notamment un des arguments du PTB qui a eu un élu, Rudy Warnier, qui était chauffagiste. Il s’est retrouvé au Parlement et il a détesté l'expérience. On voyait quelqu’un de perdu parce qu'il ne comprenait rien à ce qui se passait. Ce n’étaient pas du tout ses codes. Il a fait le pire bilan parlementaire. Pour moi, ça ne montre pas du tout que ce genre de profil n’a pas sa place au Parlement ; ça montre que le Parlement n'est pas prêt à ce genre de profil et n'y est pas habitué. La représentation doit être beaucoup plus inclusive. Exemple complètement trivial : j'ai vu le film « Call me by your name » sur une histoire de rencontre homosexuelle dans l'Italie universitaire des années 1980, et j'ai trouvé ce film très beau, notamment parce que j'avais l'impression qu'en termes de représentation, il y a des trucs vraiment très crus qui changeaient un peu les codes du cinéma. J’en ai discuté pendant une soirée avec deux amis qui eux-mêmes sont homosexuels et en couple. Un des deux m'a dit : « en fait, le film était pas mal, mais au moment où on voit des scènes avec une fille il y a des scènes de nu intégral et quand ils sont deux hommes, pas ». Je n’avais pas réfléchi à ça un instant, probablement parce que je suis un homme hétérosexuel blanc et que je n’ai pas la même vision.

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Maxime Counet : En fait, j'écoute assez peu de chansons. Et quand c’est le cas, je ne prête pas une attention trop particulière aux paroles. Ce que j'écoute le plus c'est, c'est du jazz ou de la musique baroque, rarement lyrique. Il y a quand même un exemple qui est chouette, c’est sur l’album « Mingus Ah Um » de Charlie Mingus, un des plus grands contrebassistes de l'histoire. Il y avait un morceau qui s'appelle « Fables of Faubus ». Orval Faubus était gouverneur de l'Arkansas dans les années 1950. L'album sort en 1959, pendant toute la période de ségrégation raciale qui a amené à l'arrêt de la Cour constitutionnelle « Brown v. Board of Education of Topeka ». L’arrêt autorise les élèves noirs à se rendre dans des écoles avant cela réservées aux blancs. Et Orval Faubus postera des forces armées devant des écoles pour les en empêcher, ce qui amènera le président Dwight David Eisenhower à mettre les forces armées étatiques de l’Arkansas sous tutelle des forces américaines et qui amènera des élèves noirs à faire leur rentrée avec chacun un militaire à leurs côtés. Dans la version non-instrumentale, les paroles sont des supplications à ne pas se faire tirer dessus, ni poignarder – thèmes que l’on retrouve depuis soixante ans dans des textes de Common, Nas, Dave East, J. Cole…

Parierais-tu sur l’État belge dans les prochaines années ?

Maxime Counet : Oui bien sûr. Personnellement, j'ai l'impression que personne ne croit vraiment à l'indépendance flamande ou à la scission du pays. La marche autonomiste flamande va continuer. C'est assez marrant, durant cette législature, il y a eu une volonté de préparer la 7e réforme de l'État. On a même deux ministres chargés d’y plancher (et non plus de secrétaires d’État). En fait, il ne se passe rien. Je présume qu'il va y avoir des velléités au niveau de la sécurité sociale. À mon avis, la pension sera vite mise sur le côté par les Flamands parce qu’eux en fait seraint désavantagés par le transfert de cette compétence. C'est le point sur lequel ils savent très bien qu'en fait ils vont coûter plus. Ils ont tout à fait intérêt à garder le financement des pensions à l’échelon fédéral. J'ai l'impression que la compétence de la justice va être mise en avant par la NVA, sans doute un peu poussée par le Vlaams Belang. On va garder à mon sens un État fédéral qui sera une coquille vide, ce qui en termes de cohérence des politiques publiques n’est peut-être pas la pire chose qui puisse arriver. Il faut surtout que les entités qui préparent le moins bien les réformes, qui les implémentent avec le moins de suivi, à savoir la Région wallonne, la Communauté française et la Région de Bruxelles-Capitale, s’emparent véritablement de la question. J'ai été assez outré par ce qu’on a entendu au début de la crise pandémique, à savoir qu'on avait trop de ministres en charge de la santé et qu’il fallait retourner à l’État fédéral. C’est une aberration complète dans l'histoire de la politique belge. Personne ne peut croire à ça, surtout quand on sait que l’accord de gouvernement intervenu plusieurs mois après le début de la pandémie prévoit explicitement et sans la moindre équivoque d’aller plus loin dans l’autonomisation des communautés et régions.

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

Maxime Counet : Géographiquement, malgré une certaine appétence pour les découvertes dans le monde, je reste diablement principautaire. Donc je me vois quand même bien à Liège. Ensuite, j'arrive en fin de parcours, au terme de mes mandats d’assistant. Je serai amené à changer de fonction à la fin du mois de septembre alors que je me suis vraiment bien amusé ici à l’Université. Singulièrement pour l'encadrement. Honnêtement pour être parfaitement transparent, j'estime que je ne suis pas un extrêmement bon chercheur. Je ne trouve pas que j’ai produit beaucoup d'articles qui sont vraiment bons. Mais j'ai par contre la faiblesse de croire que je suis plutôt un bon encadrant. Les trucs qui me resteront les plus précieux ici, ce sont les moments passés avec les étudiants à parler de leur TDSP ou d’autres travaux. Honnêtement, je me sens tellement valorisé par ça, beaucoup plus que par le fait d’être dans un colloque ou sur les plateaux télé. Je pousse vraiment les étudiants à faire des travaux et surtout un mémoire dont ils sont contents. J’ai adoré aussi donner cours. Donc dans dix ans, j'aimerais bien pouvoir donner cours, probablement sur les questions politiques belges, voire de guitare mais ça m’étonnerait [rires]. Cela peut aussi être des formations dans des syndicats.

Retrouvez les publications de Maxime Counet ici.

1L'entretien s'est déroulé le 17 janvier 2022.

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