Parcours de politologue #9 Vincent Aerts



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologue de l’ULiège. Pour ce neuvième épisode, Vincent Aerts , membre de l’Institut de la décision publique depuis septembre 2023 nous livre son regard sur son parcours. Entre son soutien indéfectible pour Liverpool, son regard sur le tirage au sort en politique et son goût pour Milan Kundera, suivons le parcours d’un politologue qui déconstruit sans cesse le monde qui l'entoure.

Pourquoi as-tu décidé d'étudier la science politique ?

Vincent : D'abord, je n’étais pas du tout destiné à faire de la science politique. Petit, j’adorais les mathématiques et au début, je voulais être mathématicien, ensuite professeur de maths, et puis je me suis dit que je voulais être ingénieur. Mais en cinquième secondaire, à l'Athénée Léonie de Waha à Liège, il y avait une option qui était assez unique. C'est une option Histoire-Maths avec 8h de maths et 6h d'Histoire. J'ai pris l'option Histoire en plus de l'option Maths parce qu'à la fin de ma quatrième secondaire, j'ai eu quelques cours sur la Révolution française en cours d'Histoire. Ils ont été un déclic où je me suis dit qu’il y avait énormément de débats passionnants dans l’Histoire et dans la politique. Je pense que c'était concomitant à la découverte sur YouTube de quelques vidéos de Usul avec sa série « Mes chers contemporains ». Il dédiait un épisode à une personne pour son rôle dans la société plus que pour son histoire personnelle. Ainsi, il consacrait un épisode à Élisabeth Lévy développant ce qu'est la figure de l'éditorialiste de droite ou d'extrême droite dans la société. Je trouve que ça a vraiment participé à ma politisation. Vers 16-17 ans, j'ai donc commencé à apprécier l'Histoire et les questions de sciences politiques. Enfin au début de ma cinquième secondaire, mon prof de Français m'a mis entre les mains le livre « Contre les élections » de David Van Reybrouck, qui m'a vraiment chamboulé dans le sens où ça m'a ouvert à de nouveaux débats avec les questions de la démocratie représentative et du tirage au sort qui six, sept, huit ans plus tard me suivent toujours.

Durant tes études à Liège, qu’as-tu le plus apprécié ?

Vincent : Ce que j'ai le plus apprécié, ce sont toutes les opportunités et projets en dehors des cours. J'aime beaucoup les cours, mais je trouve que ce qui est le plus intéressant, c'est ce qu'on poursuit en dehors. Ce sont toutes les opportunités extra scolaires et toute les découvertes culturelles et intellectuelles qui découlent directement des cours ; c’est-à-dire tous les conseils de lecture, tous les conseils de conférences, de films. Mais surtout les projets de recherche en dehors des cours. Il y a eu des projets d'écriture d'articles et des projets télévisés. Je pense que l'émission « Ke Novel » sur RTC est vraiment un projet qui me tient à cœur parce que ça nous permet de sortir de l'université et de voir d'autres choses, de rendre les sciences politiques concrètes pour nous. Et puis j'ai été deux ans étudiant-moniteur du cours de Pratique de l'Argumentation Politique. J’envisage le rôle d'étudiant-moniteur comme une mise en œuvre concrète des apprentissages, on passe de l'autre côté et on a vraiment ce débat, ce moment d'autonomie et d'échanges extrêmement important. Je trouve que le cours de Pratique de l'argumentation politique, singulièrement, est un peu une bulle dans ce cursus qui permet d'avoir un moment d'échanges, de débats, d'esprit critique et de mise en pratique de nos idées, ce qui reste malheureusement assez rare dans la plupart des autres cours.

Comment es-tu arrivé à l’Université ?

Vincent : De base, je m'étais inscrit à l'Université de Maastricht avec deux copains en secondaire. On hésitait entre la sciences politiques et le droit, et on avait opté pour European Studies à Maastricht. Mais la question des trajets et de la langue s’est posée et puis je savais que l’année suivante ma copine arrivait en sciences politiques donc j'ai finalement choisi de rester à Liège pour avoir des études en français plus près de chez moi avec mes amis. C’est ainsi que je suis arrivé à l’Université de Liège (et pas à Maastricht).

Quel est ton livre préféré ?

Vincent : Mon livre préféré c’est « l’Immortalité » de Milan Kundera. J’ai découvert Kundera avec « L'insoutenable légèreté de l'être » qui est le livre préféré d’un grand ami de mes parents. Il m'a raconté qu'il l’offrait à tout le monde à chaque fois qu'il va à un anniversaire. Il me l'a donc offert quand j'avais 15 ans. J’ai mis quelques années avant de le lire, à mon entrée à l’université. Ça a vraiment été une grande découverte pour moi parce que j'ai adoré les développements psychologiques des personnages, entrecoupées de réflexions philosophiques. Je trouve que la littérature a un potentiel philosophique et politique infini et Milan Kundera exprime bien cette idée.

Dans un autre registre, j’ai adoré « Les raisins de la colère » de John Steinbeck. C’est un roman réaliste où on suit une famille de fermiers qui quittent l'Oklahoma au début du 20e siècle, parce que l'automatisation des fermes les remplace et les appauvris. Elles migrent alors vers la Californie qu’on leur vend comme un paradis ensoleillé et fertile. Leur parcours pour migrer jusqu'en Californie est semé d'embûches, ils font face au capitalisme et au libéralisme qui les tue à petit feu, à la haine de l'autre, à la xénophobie, à la mise en concurrence des pauvres. Je trouve que ce livre est extrêmement fort pour décrire la misère et le parcours du combattant des migrants. Mais il porte en même temps une idée de solidarité et de mise en commun des forces des travailleurs qui permet de donner un souffle en criant que la révolte est possible si on se met ensemble. Le livre est paru en 1939 et, pourtant, il reste fort d'actualité. Sa transposition à notre société est extrêmement simple et claire dans mon esprit.

Est-ce que tu considères que le travail universitaire est une vie de solitude ?

Vincent : Ça peut être vécu comme une vie de solitude, mais je pense que j'accorde un côté négatif à la solitude comme étant un isolement forcé. Je ressens plutôt son pendant positif qu’est l'autonomie. C'est une valeur qui est fort défendue dans les écoles en pédagogie active et je pense que c'est quelque chose qui marque beaucoup mon parcours. J'ai fait mes maternelles et primaires à l'école communale du Laveu à Liège puis mes secondaires à Waha. Ce sont deux écoles en pédagogie active qui mettent fortement en avant les valeurs d'esprit critique, de solidarité, de remise en question et d’autonomie. On est très peu suivis au jour le jour, on est plutôt investis dans des projets de longue haleine ou des travaux de groupe. Cette organisation m'a permis d'avoir une gestion du temps extrêmement personnelle, ce qui est transposable à la vie universitaire. J’ai vécu cette autonomie et cette liberté de manière extrêmement émancipatrice à l’Université où finalement, mes périodes préférées, c’étaient peut-être les bloques parce qu’il n'y avait aucune contrainte organisationnelle, j’organisais mes journées en toute liberté.

Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Vincent : Je pense que la science politique doit amener un besoin d'implication. Depuis ma lecture de David Van Reybrouck, je pense que considérer que nous vivons en démocratie en raison des élections à intervalles réguliers, c’est insuffisant. C'est une définition minimale de la démocratie et ce n'est pas ça la démocratie. Elle ne peut fonctionner que sur une base égalitaire dans une société de citoyens égaux. Et je pense que pour être des citoyens, nous avons besoin d'une formation sur le fonctionnement institutionnelle et politique de notre système. Les études en sciences politiques nous ouvrent à tellement de sujets de débats qu'elles permettent de politiser notre quotidien et de devenir des citoyens à part entière. Elles permettent de devenir des citoyens dotés d’esprit critique dans cette quête de la participation : comprendre qu'on ne peut vivre en démocratie que si tout le monde a les armes pour participer. Tout le monde doit être formé et doit participer. Il doit vraiment exister un devoir de participation pour dire que nous vivons en démocratie.

La formation en sciences sociales, en général, et en sciences politiques, en particulier, est insuffisante pour la majorité de la population. Il faudrait qu'on ait tous les bases d'esprit critique pour comprendre qu’en démocratie, tout le monde doit participer et est légitime car nous sommes égaux. La démocratie, c’est l’autodétermination.

Sur la politisation

En déconstruisant et en politisant nos quotidiens et nos vies, on comprend que le monde est contingent, qu’il aurait pu être différent et qu’il est donc possible de le changer.

Vincent Aerts

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d'étudier les sciences politiques ?

Vincent : Je conseillerais aux jeunes d'étudier les sciences politiques parce qu'elles permettent de trouver du sens dans nos actions. En déconstruisant et en politisant nos quotidiens et nos vies, on comprend que le monde est contingent, qu’il aurait pu être différent et qu’il est donc possible de le changer. Dans une période où les burn-outs se multiplient à cause d’un manque de sens dans notre travail et dans nos vies, on a parfois du mal à comprendre à quoi nous servons. Les sciences politiques permettent par cette idée d'autonomie, de dire que le sens de notre vie, c'est juste de vivre ensemble et de créer quelque chose collectivement.

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

Vincent : Actuellement, je travaille sur les conceptualisations de la démocratie et sur le rôle des partis politiques. J'essaye de comprendre historiquement comment la démocratie est définie et comment on conceptualise l'idée de démocratie. Ce raisonnement vient de mes lectures de David Van Reybrouck, de Francis Dupuis-Déri, d’Antoine Chollet et de Bernard Manin. Historiquement, le système politique dans lequel on vit et qu’on nomme démocratie ne se voulait pas démocratique. On appose le mot démocratie sur notre système actuel, c’est-à-dire un système représentatif qui n'est fondamentalement pas démocratique. L'élection est essentiellement un instrument aristocratique et les pères fondateurs de nos systèmes étaient largement agoraphobes au niveau politique, ils redoutaient, voire méprisaient l’idée de souveraineté populaire. Et donc, en partant de cette idée-là, je pense qu'il y a une redéfinition permanente du concept de démocratie.

Actuellement, au sein de l’UR Cité, je travaille sur un projet qui vise à analyser les discours et les avancées institutionnelles autour de trois dispositifs d'innovations démocratiques : le mandat impératif, le référendum et le tirage au sort. J’essaie de comprendre les définitions et les conceptualisations de la démocratie qui sont portées par les représentants politiques autour des propositions d’innovations démocratiques.

Plus précisément, j’analyse comment les parlementaires se réapproprient les revendications d’innovations démocratiques pour redéfinir la démocratie, tant au niveau des idées et des valeurs qu’au niveau de l’architecture institutionnelle. J’essaye aussi de centrer cette question de la démocratie sur un objet concret en me demandant quel rôle est prévu pour les partis politiques dans ces discours.

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Vincent : Je considère que je suis quelqu'un d’assez solitaire et casanier. Du coup, je n'ai pas de passions ou de hobbies intrinsèquement politiques dans le sens où je ne suis pas militant dans un parti politique ou engagé dans une association. Cependant, je vois tous mes loisirs sous le prisme des sciences politiques. J'ai l'impression de porter en permanence mes lunettes de politologue pour analyser ma consommation culturelle avec des questionnements politiques. Chaque fois que je regarde un film, que j'écoute de la musique ou que je lis un livre, je pense sciences politiques. Je regarde les dynamiques de pouvoir, je regarde les impacts sur le fonctionnement de la société. Un entraineur de football a un jour dit « je n’ai qu’une passion, c’est le football. Quand ma femme me parle, je pense à Serge Gakpé (ancien joueur du Standard) » et bien je ressens un peu la même chose avec les sciences politiques, quand ma femme me parle, je pense à Karl Marx (rire).

Quelle est la place du football dans ta vie ?

Vincent : Je suis grand supporter de Liverpool.  Quand j’avais 8 ans, mon papa m’a mis devant un match de foot. Il m'a dit qu’il tenait pour les bleus (Chelsea) et par opposition, je me suis mis à supporter les rouges (Liverpool). J’ai ensuite trouvé ma première idole avec Fernando Torres, attaquant espagnol de Liverpool et ça me suit depuis presque quinze ans. J'adore Liverpool et le monde étant bien fait, je me suis rendu compte que la ville et le club de Liverpool partageaient mes valeurs. C'est un club historiquement socialiste et leur entraîneur, Jürgen Klopp, est un Allemand charismatique de gauche. J’essaye de regarder chaque match de Liverpool et c’est à chaque fois un moment un peu ritualisé en après-midi le week-end dans son salon, deux heures hors du temps.

(Entre l’enregistrement de cet entretien et sa publication, Jürgen Klopp a annoncé sa démission de Liverpool à la fin de la saison. Depuis, Vincent est en deuil et pleure tous les jours en travaillant sur sa thèse).

Quelle est la place de la musique dans ta vie ?

Vincent :  Tout le monde écoute de la musique et donc je n’ai pas envie de me réclamer comme étant passionné de musique ou pas, car je pense que tout le monde pratique la musique ou en écoute de manière passive ou active. Je ne fais pas d'instrument, je n’ai jamais fait de solfège, mais j'aime beaucoup le rap et j'écoute essentiellement, voire presque exclusivement du rap francophone. J’y trouve une énergie, des paroles, un discours qui permet de me relancer sur mes questionnements politiques et philosophiques. J’écoute beaucoup Ben PLG, Loud ou Nekfeu dont les paroles permettent parfois un questionnement philosophique ou politique que j’apprécie.

Que proposerais-tu comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Vincent : Je pense que c'est une question compliquée parce qu’une seule réforme ne serait pas suffisante. Je proposerai la mise en place d'un mandat impératif. Le mandat impératif, c'est la possibilité de donner force contraignante aux programmes électoraux, pour éviter que nos politiciens nous promettent la lune en sachant qu'ils ne pourront pas le faire, et ça permet, de révoquer certains élus en cours de mandat lorsqu'on considère qu'ils ne font pas bien leur travail ou ne respectent pas leurs promesses. Je proposerais cette réforme parce qu'elle oblige à un changement total de notre système. En effet, le mandat impératif est interdit dans la Constitution, tout notre système étant basé sur un mandat représentatif et donc libre. L’introduction du mandat impératif nous obligerait à revoir notre conception du mandat, notre rapport à l'élu qui ne serait plus totalement libre de faire tout ce qu'il veut. Pour mettre en place les référendums de destitution, il faudrait passer par la levée du secret du vote et donc je pense que la mise en place d'un mandat impératif demanderait de changer tout le système, toute notre conception du régime représentatif. En cela, je pense qu’il forcerait une révolution au niveau législatif, politique et sociétal pouvant aboutir à un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens.

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Vincent : La chanson « Programmé » de Nekfeu, sortie sur son deuxième album, « Cyborg », c’est une chanson souvent mal aimée, car elle contient 45 répétitions de la phrase : « Tout est une question de volonté ». Il répète machinalement cette phrase pendant le refrain tandis que les couplets abordent des situations extrêmement dures à vivre, la misère, les actes qui nous poussent à reproduire certains comportements. Alors que le refrain rabâche ce leitmotiv méritocratique, de dire que tout est une question de volonté, « si on veut, on peut », la chanson exprime de manière extrêmement imagée des situations compliquées à vivre, qui nous montrent que lorsqu’on est dans la misère, lorsqu’on est malchanceux, on peut faire tout ce qu'on veut, on a du mal à s'en sortir. Et donc finalement, tout n'est pas une question de volonté. Nekfeu se répète machinalement pour montrer que c’est un discours idéologique, un slogan qu'on répète, mais qu'on ne comprend même plus. Finalement, la chanson se finit par un bruit de balle. On sent que le chanteur se fait tirer dessus et termine par dire que « tout est une question de destinée ». J’interprète cette fin très imagée comme un rappel du déterminisme social, de l’importance de la contingence et des limites de la fable méritocratique.

Parierais-tu sur l’État belge dans les prochaines années ?

Vincent : C’est peut-être polémique mais je pense que la Belgique n’a plus de raison d'être. Historiquement, elle a été créée pour être un État tampon entre différentes puissances, période depuis révolue. Mais surtout, je pense que pour faire société, il faut avoir envie de vivre ensemble. Or, vu les orientations politiques diamétralement opposées des deux moitiés du pays, la moitié Nord du pays ne semble pas avoir envie de vivre avec la moitié Sud du pays. Quand on défend des valeurs humanistes, je pense qu’il est difficilement envisageable de cohabiter avec un peuple qui vote à 50% pour la droite radicale ou l'extrême droite. En ce sens, les Flamands me semblent beaucoup plus proches de Néerlandais que des Wallons. Vouloir défendre la Belgique pour une continuité historique ne me semble plus pertinent. Outre la question linguistique, nous pensons tellement différemment que je ne suis pas convaincu que nous voulions vivre ensemble. Je ne parierais donc pas sur l’État belge dans les prochaines années (mais je dois faire remarquer que je suis extrêmement mauvais en paris).

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

Vincent : Idéalement, je me vois toujours ici à Liège et à l’Université. Idéalement, avec une thèse commencée puis rédigée et défendue. Idéalement, toujours avec des cheveux parce que je vois que la calvitie nous guette, j'observe un taux de calvitie assez élevé chez les chercheurs. Dans dix ans, j’espère donc être toujours à l'Université, dans des tâches de recherche et d'enseignement avec des cheveux sur la tête (rire).

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