Parcours de politologue #8 Loïc Perrin



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« Parcours de politologue » part à la découverte de politologues de l’ULiège. Pour ce huitième épisode, Loïc Perrin, membre de l’Institut de la décision publique depuis septembre 2023 nous livre son regard sur son parcours. Entre le piano, la magie et Platon, suivons le parcours d’un politologue amateur d’art et de culture.

Pourquoi as-tu décidé d’étudier la science politique ?

Loïc Perrin : Ça ne s’est pas imposé directement dans le sens où j’étais plutôt bon en maths et en langues anciennes (latin, grec) en secondaire. Initialement, je me destinais donc plutôt à suivre des études d’ingénierie, ou de langues classiques. Il y a toute une série d’événements durant mon année de rhéto qui ont fait que je me suis finalement orienté vers les sciences politiques.

Un premier élément, c’est que 2018 était une année de campagne électorale, avec les élections communales et provinciales. Plusieurs personnes de mon entourage étaient candidates, donc j’étais vraiment attentif à cette actualité, je suivais les débats électoraux de près. Un deuxième élément, c’est que je suis parti cette année-là quelques semaines en Équateur, et je me suis notamment rendu à Sarayaku, une communauté indigène d’Amazonie. Ce peuple kichwa lutte contre l’implantation des compagnies pétrolières sur son territoire (… qui fait quand même 135 000 hectares). Ce voyage m’a particulièrement marqué : j’étais assez admiratif de découvrir comment un collectif pouvait s’organiser et acquérir un véritable poids politique. Et enfin, je me rappelle d’une discussion avec une enseignante de secondaire qui m’a dit un jour, à la fin d’un cours : « Loïc, ce n’est pas parce que tu es bon en maths que tu dois faire ingénieur. Les sciences politiques et sociales, je pense, te correspondraient bien ». C’est donc cet ensemble de petits événements qui, additionnés les uns aux autres, m’ont conduit à m’inscrire en science politique.  

Durant tes études à Liège, qu’as-tu le plus apprécié ?

Loïc Perrin : Sur le plan « scolaire », j’ai adoré encadrer des séances de répétition, de cours, de travaux pratiques dans différentes matières (en particulier, l’analyse des politiques publiques, le droit administratif et l’histoire politique belge). C’est une chose qui est vraiment chouette dans la Faculté de Droit, Science politique et Criminologie : les étudiants des années supérieures ont la possibilité de donner des séances de travail aux autres étudiants. C’est une forme d’apprentissage par les pairs. Ces expériences m’ont vraiment conforté dans l’idée que j’aimais partager, enseigner et encadrer.

Une seconde dimension qui m’a beaucoup plu, ce sont les nombreuses opportunités extra muros qui m’ont été proposées durant mon cursus : un Erasmus à Bologne, une simulation parlementaire à Namur, ou encore un stage au Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP). C’est la grande force des études à Liège : on ne reste pas enfermé entre les quatre murs de l’Université.

Sinon, sur le plan plus « social », j’ai énormément apprécié l’entraide entre les étudiants. Il y avait vraiment un très fort esprit d’équipe entre nous, il n’y avait pas de compétition. On se partageait volontiers nos notes de cours, on s’entraidait durant les périodes de blocus, etc.  

Comment es-tu arrivé à l’Université ?

Loïc Perrin : Alors… il y a deux dimensions distinctes. Pourquoi l’Université de Liège spécifiquement ? C’est parce qu’en première année de bachelier, je faisais en parallèle une année de perfectionnement en piano au Conservatoire Royal de Liège. Et donc il y avait un aspect pratico-pratique : c’était plus facile pour moi si les deux institutions étaient dans la même ville. Maintenant, pourquoi l’Université ? Je pense qu’il y a évidemment un aspect de reproduction sociale. Bourdieu n’est jamais vraiment bien loin. Mes deux parents ont eu un parcours universitaire. De façon indirecte, ça a joué un rôle. L’Université ne semblait pas constituer quelque chose d’inatteignable.  

Quel est ton livre préféré ?

Loïc Perrin : Je lis beaucoup de romans historiques. J’ai notamment lu des livres de Gilbert Sinoué comme L’enfant de Bruges, ou certains livres de Jean d’Ormesson, comme L’Histoire du Juif errant, qui m’ont beaucoup plu. J’adore le mélange entre romanesque et historique. Sinon — et c’est peut-être plus insolite —, je suis un grand fan des écrits des auteurs de l’antiquité gréco-romaine. Sur ma table de chevet, j’ai toujours le Banquet de Platon, qui est un dialogue platonicien sur le thème de l’amour. L’histoire se déroule lors d’un festin durant lequel les différents convives, dont Socrate, prennent la parole pour faire état de leur conception de l’amour. J’aime beaucoup la façon dont Platon décrit les sentiments, les émotions, les passions. La contemporanéité des descriptions des ressentis émotionnels me fascine. Il y a d’ailleurs une très belle phrase de Péguy dans sa Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne : « Homère est nouveau ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui ». Bon, après, entendons-nous bien, ce sont des lectures échappatoires pour moi : je ne suis pas du tout partisan de la philosophie politique de Platon.

Est-ce que tu considères que le travail universitaire est une vie de solitude ?

Loïc Perrin : Dans la recherche en science politique, je pense que les méthodes mobilisées nous permettent généralement d’abandonner l’image d’Épinal du chercheur derrière sa pile de livres. On réalise des entretiens, des focus groups, des ateliers scénarios, des interviews. On a vraiment la possibilité d’aller sur le terrain, de rencontrer en permanence de nouveaux acteurs, de créer du dialogue. Donc les méthodes de recherche — en tout cas celles que j’utilise — me font dire que la recherche en science politique n’est pas un travail solitaire. En plus de cela, il y a beaucoup de contacts entre les chercheurs, au sein de l’UR Cité : on a des possibilités d’échanger sur nos recherches en permanence. Il est également possible de rédiger des contributions en co-auteurs, donc d’aborder un même objet sous l’angle politique, juridique, criminologique.

Qu’est-ce que la science politique peut apporter à la société ?

Loïc Perrin : Je dis souvent que la science politique a donné une assise théorique à mon indignation. C’est un moyen de comprendre, dans une perspective interdisciplinaire, les dysfonctionnements de notre société, les rapports de domination, les inégalités. Je suis assez opposé à l’idée que la science politique est une discipline qui n’a qu’une visée purement descriptive. Grâce aux sciences politiques, on peut comprendre le fonctionnement de notre système, mais aussi pointer les dérives et documenter les alternatives : étudier la crise de la représentation, analyser les mécanismes de démocratie directe, évaluer l’action publique des différents niveaux de pouvoir, mettre en lumière la place croissante du pouvoir économique dans la décision publique, etc.

Sur la science politique

Je dis souvent que la science politique a donné une assise théorique à mon indignation

Loïc Perrin

Pourquoi conseillerais-tu aux jeunes d’étudier les sciences politiques ?

Loïc Perrin : Face aux inégalités sociales, face aux crises climatiques, face aux inégalités de genre, on ne peut plus rester de marbre. Comme disait Stéphane Hessel dans Indignez-vous, la pire des attitudes est l’indifférence. Et la science politique est là pour étudier ces crises, et documenter les portes de sortie. Et puis, c’est toujours bien de rappeler qu’étudier les sciences politiques, ce n’est pas nécessairement le point de départ du cursus honorum du bon politicien. On n’est pas une académie pour ministres. On peut très bien devenir diplomate, fonctionnaire, journaliste politique, ou travailleur dans une ONG. La grande force de la science politique, c’est aussi sa transversalité, puisqu’on est formé en économie politique, en sociologie, en histoire et en droit. C’est important de savoir mener une réflexion transversale, face à la complexité des enjeux d’aujourd’hui.

Quels sont tes domaines de recherche au sein de l’UR Cité ?

Loïc Perrin : Je travaille sur les politiques culturelles, sur le rapport entre la culture et la politique. Durant mon bachelier, j’ai étudié le rôle de l’art urbain dans le conflit en Irlande du Nord. J’ai donc abordé l’art comme un outil de résistance. Et puis, dans le cadre de mon mémoire, j’ai travaillé sur la place de la culture dans l’axe urbain Guillemins-Boverie-Médiacité à Liège. Avec les vagues successives de désindustrialisation, la Ville de Liège a fait de la culture un facteur de redéploiement de son tissu économique, et la zone Guillemins-Boverie-Médiacité — avec sa gare majestueuse et son musée — fait particulièrement l’objet de l’attention publique. Ce travail fut l’occasion pour moi de porter un regard critique et analytique sur un modèle de développement urbain où la culture et l’économie sont liés.

Il y a aussi une dimension très « territoriale » dans mes recherches : j’accorde une importance toute particulière au territoire, aux quartiers, aux lieux de vie. Je pense que cette volonté-là, ça vient d’une histoire — qui peut sembler insignifiante — quand j’étais à l’école primaire à Flémalle. En sixième primaire, une excursion était organisée pour aller voir un musée à Liège, et je me souviens qu’un garçon de ma classe a dit : « Trop bien, on va à Liège, je n’y suis jamais allé. » Ça m’avait marqué, car mon école était littéralement à 15 minutes en voiture de Liège. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que pour toute une série de personnes, le quartier et l’espace environnant de l’habitation sont des lieux privilégiés de socialisation. Il y a donc une vraie nécessité de les prendre en considération lorsque l’on mène une recherche.

Donc, en synthèse : politique, culture, et ville !

As-tu une passion à laquelle tu donnes une portée politique ou sociale ?

Loïc Perrin : Je dirais le cinéma parce que ça me permet de questionner en permanence ma conception des rapports politiques et sociaux. Par exemple, j’aime beaucoup le réalisateur Pedro Almodovar, qui a réalisé Volver, Julieta, et Tout sur ma mère. Dans ces trois films, Almodovar montre des solidarités féminines sur plusieurs générations. C’est vraiment un cinéma qui me plaît beaucoup. J’aime aussi les films de Ken Loach qui critique la société ultralibérale dans laquelle nous vivons, notamment dans Moi, Daniel Blake, où il y a une scène dans une banque alimentaire qui m’a vraiment marqué. J’apprécie aussi les films qui abordent le thème de la religion, comme Des Hommes et des Dieux de Xavier Beauvois, qui raconte l’enlèvement des moines de Tibhirine en Algérie. C’est un film très lent et contemplatif, mais profondément humain. Et puis, parmi mes films favoris, il y a Eternal Sunshine of the Spotless Mind, que je recommande souvent, mais dans ce cas, je ne sais pas si on peut vraiment parler d’une « portée politique ». Bon, ça fait déjà une fameuse liste, je vais m’arrêter là !  

Quelle est la place de la magie dans ta vie ?

Loïc Perrin : Je fais en effet de la magie, et plus particulièrement du close-up (une discipline de la magie, qui consiste à se produire très près des spectateurs, avec notamment des cartes et des pièces). J’ai commencé en autodidacte, vers 8 ans, et puis j’ai rapidement rejoint l’Académie de magie L’Illusion, la première école de magie de Belgique (fondée en 1995). Aujourd’hui, je donne cours dans cette Académie, qui est située à Saint-Nicolas. On a une cinquantaine de membres, qui ont entre 13 et 70 ans, et qui viennent tous d’horizons très différents. À travers un cursus de six années, on aborde toutes les grandes disciplines de la magie (le mentalisme, le close-up, la magie de scène, la magie de salon, les grandes illusions, etc.). C’est vraiment une chouette passion, qui a aussi une portée sociale. J’ai souvent été amené à faire des prestations dans des maisons de jeunes, des écoles de devoir, des maisons de quartier. C’est un moyen d’apporter un peu de rêve dans un quotidien parfois difficile.

Quelle est la place de la musique dans ta vie ?

Loïc Perrin : Elle a une très grande place, c’est certain. Et je dirais même qu’elle influence énormément mon humeur. Si j’ai eu une journée hyper difficile avec plein de mauvaises nouvelles, je sais que jouer une heure de piano chez moi en soirée, ça va vraiment me réconforter. Et inversement, si je suis de super bonne humeur, et bien, en écoutant certains types de musique — par exemple du jazz, de la musique espagnole ou du rock —, ça va me rendre encore plus heureux et décupler mon sentiment de bonheur. Pour moi, la musique a vraiment un rôle de régulateur et de catalyseur émotionnels.

J’écoute aussi beaucoup de musique sur les plateformes de streaming : je suis un très grand fan du « radar des sorties » sur Spotify, qui me permet de découvrir plein de trucs ! Et je vais voir énormément de concert, en tout genre. Ces derniers mois, j’ai vu un opéra de Haendel, Pomme, Avishai Cohen, Louise Attaque, Sofiane Pamart et Martha Argerich. Je pars vraiment dans tous les sens [Rires].

Que proposerais-tu comme réforme politique pour favoriser un sentiment de confiance plus important parmi les citoyens ?

Loïc Perrin : Je crois beaucoup aux limites du cumul des mandats dans le temps. Il faut vraiment lutter contre la professionnalisation de la politique : faire 40 ans de politique d’affilée, ça ne va pas, le pouvoir ne circule plus. Donc la première mesure que je proposerais, c’est une limite stricte du cumul temporel : un ou deux mandats… puis basta !

Je ne suis par contre pas spécialement en faveur des assemblées citoyennes et des assemblées délibératives telles qu’elles existent actuellement. Je trouve qu’il y a deux problèmes. D’une part, elles sont uniquement consultatives. On tombe donc vite dans une instrumentalisation du citoyen, puisqu’il y a évidemment une marge de manœuvre énorme pour le politique dans le choix de respecter ou non les recommandations de ces assemblées. Le deuxième aspect, c’est que la participation est volontaire. Ceux qui s’engagent dans ce type de dispositif sont ceux qui ont du temps. Et donc, on crée un biais dans la représentation. Toutes les personnes n’ont pas la possibilité de mettre temporairement leur travail de côté pour s’impliquer dans le processus. On se retrouve avec un mécanisme qui tel qu’il est mis en œuvre actuellement, ne constitue pas la panacée à la crise de la représentation.  

Aurais-tu une chanson avec une portée politique à nous conseiller ?

Loïc Perrin : J’écoute beaucoup de musique instrumentale et donc j’ai tendance à ne pas m’intéresser aux paroles des musiques que j’écoute. Un ami se moquait d’ailleurs de moi, car je suis allé à l’opéra récemment et je ne lisais pas les sous-titres, j’écoutais juste la musique. Et donc je suis sorti de là sans être capable d’expliquer l’histoire que je venais de voir. Mais bon, je m’éloigne du sujet. Si je devais citer une chanson, je dirais Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre. Musicalement et vocalement, je ne suis pas sûr que ce soit une référence, mais le texte est très beau. Elle se moque d’un monde qui vante la performance et l’excellence. C’est une ode à la médiocrité, au doute et à l’humilité.

Parierais-tu sur l’État belge dans les prochaines années ?

Loïc Perrin : Je ne crois pas au fait qu’on va pouvoir remettre des compétences en commun sous la coupole fédérale. La défédéralisation des compétences, leur régionalisation, va continuer. L’Autorité fédérale va progressivement devenir une coquille vide. C’est dans cette direction-là que l’on se dirige. Je n’ai d’ailleurs pas l’impression que je prends beaucoup de risques en affirmant cela. Mais je suis de plus en plus convaincu que les trajectoires politiques sont radicalement différentes entre le nord et le sud du pays. Nous verrons d’ailleurs quand la septième réforme de l’État aura lieu. Elle est souvent annoncée, mais les négociations n’ont pas l’air d’avoir commencé.

Idéalement, où te vois-tu dans dix ans ?

Loïc Perrin : Je refuse un peu de me poser la question. Je crois beaucoup à l’importance de la sinuosité des parcours de vie. J’aime les hasards et les surprises. Et donc je me vois très bien enseignant, viticulteur en Toscane, ou directeur d’un centre culturel. Enfin, qui sait ? [Rires]. Je pense juste qu’il y aura, de près ou de loin, un rapport à l’enseignement, parce que c’est dans ce domaine que je me sens le plus utile.

Retrouvez les publications de Loïc Perrin ici.

Entretien réalisé par Gatien Grommen.

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